Depuis les années 1990, l’histoire de la pensée économique s’intéresse aux « marges » de la discipline et notamment aux pratiques économiques, à la profession d’économiste ainsi qu’à l’économie appliquée et à l’économie empirique. Elle n’est plus cantonnée à une histoire des théories économiques, à un monde éthéré d’idées pures. Mais cet intérêt nouveau peut conduire à un excès inverse et à évacuer toute dimension analytique et épistémologique. À cet égard, l’analyse input-output de Wassily Leontief apparaît comme l’archétype de l’instrument économique et statistique développé pour mettre en œuvre des politiques économiques de planification. Ignorée jusque là par l’histoire de la pensée économique elle est devenue, après l’économétrie, un sujet d’étude. Pour Alain Desrosières l’analyse input-output est l’outil par excellence de l’Etat ingénieur et, pour Mary Morgan, elle est représentative de la montée de l’interventionnisme technocratique en Occident. Dans cet article nous défendons l’idée selon laquelle ces interprétations sont trop réductrices car elles se concentrent sur les seules dimensions socio-politiques et instrumentales.